NAISSANCE DU CIRC

Dans l’histoire des nations, on trouve rarement de bonnes raisons de rendre hommage à la générosité et à l’altruisme des gouvernements et des hommes au pouvoir : la naissance du CIRC offre l’une de ces rares occasions. – Lorenzo Tomatis

Ce sont les petites choses mises bout à bout qui permettent de réaliser de grandes choses. – Vincent Van Gogh

UNE IDEE – NOVEMBRE 1963

Il est souvent difficile de savoir exactement d’où viennent les idées, bonnes ou mauvaises. Mais on peut raisonnablement imaginer que l’idée de la création du CIRC, dédié à la lutte contre le cancer, est née de la perte d’un être cher emporté par cette maladie. C’est en effet la lettre émouvante d’un homme évoquant le décès de son épouse dans de terribles souffrances qui a bouleversé le rédacteur en chef du journal à qui elle était adressée et l’a convaincu d’agir. La compassion de ce dernier associée à sa détermination, à la puissance de ses relations et à l’optimisme des années 1960 ont participé à la dynamique du changement. Ces actes individuels, suscités par l’émotion et l’altruisme face à un fléau qui n’épargne aucun pays, ont trouvé un écho international auquel ont répondu les gouvernements.

L’auteur de la lettre est un journaliste niçois, Yves Poggioli, membre du Mouvement de la Paix, une organisation créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Bouleversé par la perte de son épouse, il remue ciel et terre à partir de fin février 1963 pour que soit créé un centre international de lutte contre le cancer dont le financement serait assuré par des fonds prélevés directement sur les budgets nationaux alloués à l’armement nucléaire. Il commence par contacter plusieurs organismes et un certain nombre de personnalités, notamment au sein du gouvernement français, mais sans grand succès. Il demande alors, début avril 1963, à son ami rédacteur en chef du journal Libération, de porter son idée devant le Conseil mondial de la Paix, autre organisation œuvrant en faveur du désarmement nucléaire.

Le rédacteur en chef de Libération est un homme exceptionnel à bien des égards (voir « Emmanuel d’Astier de La Vigerie – se libérer du fardeau du cancer »). Né à Paris le 6 janvier 1900, Emmanuel d’Astier de La Vigerie est issu de l’aristocratie française. Entré à l’Ecole navale, il démissionne au milieu des années vingt pour se consacrer au journalisme, à la poésie et à l’opium. Intellectuel dilettante, il dérive progressivement vers des idées politiques de gauche, abandonnant ses tendances monarchistes. Dès les premiers mois de la Seconde Guerre mondiale, il s’enrôle dans la Marine. Après la défaite de la France en juin 1940, mu par sa volonté de résister à l’occupation, il constitue l’un des trois principaux groupes de résistance en zone sud non occupée. Initialement basé à Cannes, ce groupe, baptisé la Dernière Colonne, se repliera plus tard à Clermont-Ferrand et prendra le nom de Libération-Sud.

Emmanuel d’Astier exploite son expérience journalistique pour organiser l’action de Libération-Sud, en distribuant des tracts appelant la population à résister aux forces d’occupation et au gouvernement de Vichy. Dans le cadre de ses activités extrêmement risquées, il lance, en juillet 1941, le journal clandestin Libération, dont la publication se poursuivra bien après la guerre, jusqu’en novembre 1964. C’est à ce journal que le mari en deuil s’adresse dans une lettre où il évoque la paix et les causes politiques défendues par Libération sous la plume d’Emmanuel d’Astier, pour conclure : « Que faites-vous contre le cancer ? ». Plus tard, d’Astier écrira à quel point cette lettre avait « pesé » sur sa conscience. Son esprit de résistance avait désormais un nouvel ennemi à combattre.

Cette correspondance est certes l’élément déclencheur qui conduit d’Astier à proposer la création d’un centre international contre le cancer, mais les relations qu’il a établies pendant la guerre vont être déterminantes. Lors du processus d’unification de la résistance – Libération-Sud fait partie des Mouvements unis de Résistance coordonnés par la suite par le Conseil national de la Résistance – d’Astier rencontre l’émissaire du Général de Gaulle, Jean Moulin (capturé plus tard par la Gestapo, emprisonné et torturé à Lyon), avec lequel, on le sait, il aura quelques désaccords. Il participe au comité directeur des mouvements résistants qui fusionnent autour du Général de Gaulle qu’il rencontre à Londres et à Alger. Ses activités de résistant vont lui ouvrir de nombreuses portes et lui permettre d’approcher des dirigeants politiques, notamment Winston Churchill, auprès duquel il plaide pour l’approvisionnement en armes de la Résistance française par le Royaume-Uni. En 1944, il occupe brièvement les fonctions de Ministre de l’intérieur du Gouvernement provisoire de la France.

Appel au Président

Etant donné les relations directes qu’il avait eues avec lui pendant la guerre, il n’est guère surprenant qu’Emmanuel d’Astier soit allé demander au Général de Gaulle, alors Président de la République (nous sommes en 1963), de défendre l’idée d’un élan international pour lutter contre le cancer. Cette fois encore, ce sont ses anciennes relations qui lui ont ouvert des portes qui sans cela seraient sans doute restées fermées. Il entreprend deux démarches auprès du Général – la première, seul ; la seconde sous forme d’une lettre ouverte, cosignée par 12 personnalités françaises (voir « Cosignataires de la lettre ouverte »).

Sa première visite, en juillet 1963, ne semble pas susciter beaucoup d’intérêt chez de Gaulle. D’Astier racontera plus tard : « De Gaulle écoutait. Je ne sais pas s’il m’entendait ». Toutefois, quand il évoque l’idée proposée par Poggioli – un appel aux grandes puissances nucléaires à verser un pourcentage minime de leurs budgets de la défense pour financer un nouveau centre international – de Gaulle hausse un sourcil et pose quelques questions, mais ne dit ni oui ni non. D’Astier repart sans trop d’espoir, avec l’impression d’avoir été bien naïf.

La seconde approche consiste en une lettre ouverte, remise au Palais de l’Elysée le 7 novembre 1963, avec copie aux ambassades des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union soviétique. La lettre est signée par Emmanuel d’Astier et 12 cosignataires de différents horizons (deux anonymes refusèrent d’ajouter leur nom à la liste). De Gaulle reçoit certains d’entre eux à l’Elysée, notamment Antoine Lacassagne, célèbre médecin cancérologue, ancien directeur de l’Institut du radium à Paris, président de la Ligue contre le Cancer (voir « Nos amis français – Antoine Lacassagne »). En fait, c’est après de longues discussions avec Antoine Lacassagne et le biologiste Marcel Bessis qu’Emmanuel d’Astier a rédigé la lettre. Pour l’anecdote, il disait que le projet avait commencé à prendre forme à la fin d’un « été pourri ». Il est vrai que cet été-là, en France, fut particulièrement froid et pluvieux et la météo n’incitait guère à sortir, ce qui a peut-être favorisé l’élaboration du projet.

Copie de la lettre ouverte au Général de Gaulle, publiée le 8 novembre 1963.

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Cette lettre ouverte appelait les Etats-Unis, la France, l’Union soviétique et le Royaume-Uni à consentir à un prélèvement « dérisoire » de 0,5% de leurs budgets militaires pour financer un organisme international de recherche sur le cancer qui serait placé sous la tutelle des Nations Unies et engagé dans une « lutte pour la vie ». Le prélèvement n’affecterait pas l’équilibre des puissances militaires, était-il souligné. Cette lettre précisait également qu’il ne serait pas possible de vaincre le cancer juste avec des congrès, des communiqués ou des rencontres interdisciplinaires, et qu’il fallait un centre où puisse s’élaborer une stratégie de lutte à l’échelle mondiale. Cette proposition d’une initiative commune des grandes puissances pour lutter contre le cancer – « un des grands fléaux de l’humanité » indiquait la lettre – va bénéficier d’une large couverture médiatique. Nul doute qu’Emmanuel d’Astier a su faire jouer ses contacts dans le monde de la presse. Ainsi, l’édition du New York Times du vendredi 8 novembre 1963 titrait : « Use of Arms Funds on Cancer Is Urged » (Le cancer doit bénéficier de fonds autrement destinés à l’armement).

Nous sommes dans la période d’après-guerre et dans cette lettre ouverte au Général de Gaulle, Emmanuel d’Astier ne se prive pas d’utiliser des termes militaires, indiquant notamment que si les quatre chefs d’Etat des puissances désignées approuvaient cette proposition, alors « la victoire sur le cancer pourrait être anticipée de plusieurs années ». De toute évidence, le pacifiste d’Astier cherche à susciter l’intérêt du Général par des analogies avec la guerre, en évoquant l’époque où ils avaient probablement sauvé de nombreuses vies par leur action commune. Un article de presse d’octobre 1964 va dans le même sens, avec une déclaration de Raymond Marcellin, Ministre de la Santé publique et de la Population, mentionnant qu’une coopération pacifique entre les principales puissances mondiales pourrait créer un climat propice au désarmement nucléaire de toutes les nations. Dans cette lettre, il est certes question de lutte contre le cancer, mais aussi de désarmement et de paix.

Cette proposition de centre international de lutte contre le cancer se situe en effet dans le contexte général animé par un mouvement antinucléaire. Poggioli a contacté d’Astier à cause de ses liens avec le Conseil mondial de la Paix, une organisation lancée par l’Union soviétique en faveur de la paix dans le monde et que présidera dès 1949, Frédéric Joliot-Curie, physicien connu pour ses travaux sur la fission nucléaire, époux d’Irène Curie, la fille de Marie Curie. Au sein de cette organisation pacifiste, d’Astier et Joliot-Curie vont œuvrer ensemble, ce qui leur vaudra à tous deux le Prix Staline pour la Paix (plus tard rebaptisé Prix Lénine pour la Paix), l’équivalent soviétique du Prix Nobel de la Paix. Décédé en 1958, Joliot-Curie cultivait des liens étroits avec le physicien nucléaire, Pierre Auger, qui sera 5 ans plus tard l’un des cosignataires de la lettre ouverte au Général de Gaulle.

Antoine Lacassagne devint une sommité de la communauté française des cancérologues du 20ème siècle, après avoir suivi sa formation médicale à Lyon.

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On ne connaît pas précisément les raisons pour lesquelles cette deuxième requête a retenu l’attention du Général de Gaulle. On sait toutefois qu’à cette période, il s’était rendu de façon impromptue au chevet de son médecin personnel, hospitalisé à l’Institut Gustave Roussy près de Paris, centre anticancéreux où il devait décéder peu après. Quoi qu’il en soit, de Gaulle répond positivement à la lettre ouverte et avec une remarquable rapidité (voir « Réponse du Général de Gaulle »). Dans son courrier du 9 novembre 1963 adressé à d’Astier, il reconnaît la générosité de cette initiative et souligne trois aspects qui demeurent au cœur de l’action du CIRC à ce jour : « la coopération entre les peuples, le progrès de la condition humaine et l’avancement des sciences. »

REPONSE DU GENERAL DE GAULLE

Le Général de Gaulle répondit dans les 48 heures à la lettre ouverte d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie et de ses cosignataires.

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Entrée en scène de l’Organisation mondiale de la Santé

Dès le 11 novembre 1963, soit quatre jours après la publication de la lettre ouverte, Raymond Marcellin, le Ministre de la Santé, téléphone au Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Marcolino Gomes Candau, pour l’inviter à venir à Paris dans les 48 heures assister à une réunion qui aura lieu le 13 novembre. De nos jours, on ne peut que s’émerveiller devant tant de rapidité et un tel esprit de décision. D’après certains témoignages, Marcellin avait proposé à Candau de le rencontrer n’importe où, à n’importe quel moment, pour discuter d’un projet d’institut du cancer financé à hauteur d’environ 1 million de dollars US par jour. Dans le même temps, Marcellin informe les gouvernements de la République fédérale d’Allemagne et de l’Italie du désir exprimé par de Gaulle de les voir se joindre à cette initiative. On mesure la conviction idéaliste qui sous-tend ce projet coopératif, orienté vers la santé, rassemblant les Etats-Unis, la France, l’Italie, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Union soviétique, moins de 20 ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Raymond Marcellin délègue le suivi du projet au Directeur général de la Santé, Eugène Aujaleu, qui a assisté à la première réunion avec Candau et finira par jouer un rôle important dans la création du CIRC (voir « Nos amis français – Eugène Aujaleu »). Présent à Alger lors de l’arrivée des troupes alliées en 1942, Aujaleu avait été nommé inspecteur général de la santé publique par le gouvernement provisoire de la France. Après la libération, il est nommé Directeur de l’hygiène sociale au ministère de la Santé ; il sera le représentant de la France à l’OMS de la fin des années 1950 au début des années 1980. Cette expérience l’a très certainement aidé à piloter le projet du nouveau centre de recherche sur le cancer à travers la complexité des rouages administratifs de l’OMS. C’est d’ailleurs lui qui présidera les réunions préparatoires à l’examen du projet par l’Assemblée mondiale de la Santé.

Avec le recul, on ne peut qu’être frappé par l’intensité des efforts et le formidable élan autour de ce projet, peut-être parce que c’était le fruit de la conjonction de deux idéaux : la lutte pour la paix et la lutte contre le cancer. Au fond, ce projet apparaissait comme la réponse humanitaire à l’un des fléaux de la condition humaine. Il paraissait juste de réduire les financements consacrés à l’armement nucléaire, considéré comme un fléau, pour les attribuer à la lutte contre le cancer, un autre fléau. Toutefois, cet idéalisme allait bientôt se trouver confronté au double obstacle de la bureaucratie et de l’intérêt personnel, avec le risque de voir le projet abandonné ou dilué au point de passer inaperçu.

Eugène Aujaleu a joué un rôle essentiel en guidant le projet de création du nouveau centre de recherche sur le cancer à travers les barrières administratives des gouvernements et de l’OMS. Ici, Eugène Aujaleu (à droite) avec Hiroshi Nakajima, ancien Directeur général de l’OMS.

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DE LA CONCEPTION A LA NAISSANCE – NOVEMBRE 1963 A MAI 1965

Entre l’envoi de la lettre au Général de Gaulle en novembre 1963 et l’adoption de la résolution créant le CIRC lors de l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 1965, il s’est écoulé 18 mois marqués par la rencontre de l’idéalisme et du pragmatisme. En France et au-delà, plusieurs personnalités scientifiques s’inquiètent de l’impact que pourrait avoir sur leurs activités un nouvel organisme international disposant d’importantes ressources. De leur côté, les gouvernements réfléchissent au niveau de financement qu’ils vont devoir apporter. Ils font des suggestions et proposent notamment la création d’un institut qui coordonnerait la recherche mondiale sur le cancer en répartissant les activités au plan international, ou bien d’un centre dont la fonction se limiterait uniquement à collecter des fonds pour les distribuer aux instituts de recherche existants.

Il est évident qu’une bonne partie des préoccupations de la communauté de la recherche sur le cancer, en France comme dans d’autres pays, tenait au manque chronique de financement des instituts existants. Ainsi, beaucoup s’inquiétaient d’une réduction du budget du National Institute of Health (NIH) qui, en 1963, avait distribué 13,5 millions de dollars à des instituts de recherche dans plus de 50 pays. Un peu partout, on voyait poindre des conflits avec d’une part la volonté de profiter des bénéfices potentiels d’un afflux (relativement) important de fonds, crucial pour la recherche sur le cancer, et d’autre part le souci d’éviter la création d’un nouvel organisme qui serait l’unique ou le principal bénéficiaire de ces fonds. A cela s’ajoutait la crainte que ce centre qui disposerait d’importantes ressources ne détourne les plus brillants chercheurs de leurs instituts nationaux.

L’Organisation mondiale de la Santé

Prise au dépourvu par l’ampleur de la proposition française, l’OMS s’interroge sur la façon dont la création d’un nouveau centre dédié au cancer pourrait affecter ses propres activités de recherche. Nul doute que le contact du tout début entre le Président français et le Directeur général de l’OMS ait été essentiel au soutien sans équivoque manifesté assez tôt dans le processus par cette grande institution. De plus, l’histoire révèle d’étroites relations de travail et une estime mutuelle entre Marcellin et Candau.

A cette époque, l’OMS s’était engagée dans une « réévaluation radicale » de son programme de recherche. En effet, deux réunions décisives d’experts scientifiques avaient déjà été programmées à Genève pour la dernière quinzaine de novembre 1963, juste après la lettre ouverte : l’une pour réfléchir plus précisément au rôle de l’OMS dans l’effort général de lutte contre le cancer (une unité sur le cancer avait été créée en 1959) ; l’autre pour préparer la création d’un Centre mondial de Recherche sur la Santé, projet plus ambitieux et plus général, comportant trois divisions – épidémiologie, recherche biomédicale, technologies et sciences de la communication – disposant d’un personnel d’environ 1300 personnes. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’éminent épidémiologiste britannique, Sir Richard Doll, était présent aux deux réunions.

Le projet de Centre mondial de Recherche sur la Santé sera finalement présenté en 1964 à la dix-septième Assemblée mondiale de la Santé. Plusieurs réunions ont lieu l’année suivante, avant que le projet soit à nouveau débattu lors de la dix-huitième Assemblée mondiale, en 1965. Compte tenu de l’ampleur du projet, il est vite devenu évident que le Directeur général de l’OMS « sera frustré dans son désir » de le voir se concrétiser. De plus, à ce stade, « l’initiative du Général de Gaulle » pour un centre dédié à la recherche sur le cancer est fortement mise en avant. Précisons que bon nombre des fonctions prévues pour le Centre mondial de recherche sur la Santé seront reprises plus tard pour définir les activités du CIRC : par exemple, la création d’une unité d’épidémiologie pour étudier les profils du cancer dans différents pays et d’une unité de recherche biomédicale pour étudier les mécanismes de cancérogenèse et autres questions biologiques ; enfin, la place prépondérante réservée aux activités de formation.

Lors de l’Assemblée mondiale de la Santé de 1965, l’idée d’un grand centre mondial de recherche sur la santé se concrétise finalement à une échelle plus modeste par la création du CIRC, permettant ainsi de garder certains aspects du projet avorté du Directeur de l’OMS, tout en intégrant les opportunités de recherche sur le cancer identifiées par l’OMS. Cette dernière participe déjà à plusieurs études internationales, notamment à des études comparatives sur le cancer du poumon en Norvège et en Finlande, le cancer du sein et l’influence de l’allaitement et de la grossesse dans sept régions du monde, et les cancers de la bouche en Inde et dans les républiques soviétiques d’Asie centrale. En collaboration avec des centres de référence en pathologie du monde entier, l’OMS participe également à d’importants travaux pour la classification internationale des tumeurs humaines.

C’est certainement l’appui sans réserve apporté par Candau qui a permis au projet d’avancer aussi vite, non seulement au niveau des instances administratives de l’OMS, mais aussi lors des débats et des résolutions officielles des dix-septième et dix-huitième Assemblées mondiales de la Santé. Bien sûr, Raymond Marcellin et Eugène Aujaleu soutenaient eux aussi fermement le projet, et les considérations stratégiques autour de la création du nouvel institut vont finir par cadrer avec la vision du champ d’activité de cette structure. Au final, ce ne sont pas les grandes lignes d’un nouveau centre qui sont présentées aux décideurs, mais un tableau de tout ce qu’il pourrait accomplir s’il était créé.

Une autre organisation internationale de lutte contre le cancer

Il existait déjà depuis 1933 une organisation internationale de lutte contre le cancer : l’Union Internationale Contre le Cancer (UICC). Il était donc tout à fait normal que cette dernière s’interroge également sur l’impact éventuel de l’initiative française.

L’éminent professeur Alexander Haddow, directeur du Chester Beatty Research Institute à Londres et président de l’UICC de 1962 à 1966, est le premier à intervenir. Il adresse des lettres aux chefs d’Etat des cinq pays intéressés par la proposition du Général de Gaulle, affirmant son soutien à l’initiative, tout en soulignant qu’il était nécessaire d’étudier ce projet à la lumière des activités en cours ou prévues par les organisations déjà existantes. Il transmet à de Gaulle une copie de la lettre envoyée au président des Etats-Unis, Lyndon B. Johnson. La réponse du Général de Gaulle à Haddow est particulièrement intéressante car, tout en reconnaissant les efforts et la qualité des recherches de l’UICC, il insiste sur la nécessité pour les chercheurs d’œuvrer ensemble pour vaincre le cancer, en faisant référence à « une union des chercheurs par-delà les frontières ». Il est clair qu’il attend d’un nouveau centre bien plus qu’un simple échange d’informations entre scientifiques, position pour le moins clairvoyante et décisive, puisque le projet va donner naissance au CIRC.

Lettre du Général de Gaulle au président de l’UICC, insistant sur la plus-value que pourrait apporter la nouvelle initiative par rapport aux organisations existantes.

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L’UICC continue à discuter, à la fois en interne et à l’extérieur, avec plus ou moins d’enthousiasme, des différentes formes que pourrait prendre cette nouvelle organisation. Fin 1963, Haddow exprime ses inquiétudes à Candau et Marcellin sur la façon dont les choses se déroulent. Il perçoit, semble-t-il, deux problèmes majeurs, en dehors des répercussions directes que le projet pourrait avoir sur les activités de l’UICC. Le premier tient au fait que l’OMS ne semble pas la structure la plus appropriée pour administrer un centre de recherche, du fait de sa lourdeur bureaucratique et de son orientation en santé publique (au départ, l’UICC considère que le nouveau centre doit se consacrer à la recherche fondamentale). Le second problème vient de la réduction du montant des investissements prévus par rapport à la proposition initiale de prélèvement sur les budgets de la défense, nettement plus audacieuse. Avec un financement revu à la baisse, l’UICC préfèrerait renforcer les programmes de recherche existants plutôt que de créer un nouveau centre dont les moyens limités ne lui permettraient pas d’être efficace.

Pour étudier le projet d’un point de vue purement scientifique, l’UICC organise à Stockholm, du 7 au 9 septembre 1964, une conférence internationale à laquelle sont invités les experts en cancérologie du monde entier. Cette initiative suscite quelques tensions avec l’OMS, laissant supposer que ces deux organisations pourraient être en compétition pour le contrôle du nouveau centre. Dans son discours d’introduction commentant la vision originale de l’initiative française, Haddow déclare : « En tant qu’écossais, l’idée de tirer d’énormes bénéfices sans dépenser plus que ce qui avait déjà été convenu me plait énormément. Mais d’un point de vue pratique, ce projet, voire même cet idéal, semble voué à l’échec. En tant qu’homme, je le regrette d’autant plus que je milite en Angleterre pour la paix et le désarmement. »

Les principaux chercheurs en cancérologie discutent de « l’Initiative française » lors de la conférence de l’UICC à Stockholm, du 7 au 9 septembre 1964.

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Haddow, qui participe en effet à de nombreuses actions en faveur du désarmement, est terriblement déçu par l’abandon de l’idée initiale d’attribuer un demi-pourcent des budgets militaires à la recherche sur le cancer. Jean-Francisque Delafresnaye, ancien secrétaire général de l’UICC, se souvient qu’Haddow a fermement désapprouvé la proposition de revoir le financement à la baisse qui avait été faite lors de la deuxième réunion des gouvernements participants, sept mois plus tôt à Paris. Compte tenu de ses positions, l’UICC ne sera pas conviée aux réunions suivantes de planification par les gouvernements participants.

Des degrés de liberté variés

Rétrospectivement, on s’aperçoit qu’il existait à cette époque deux visions différentes pour la nouvelle organisation. La première, à laquelle adhère la communauté de la recherche sur le cancer, met l’accent sur les travaux qui pourraient y être réalisés et penche pour la création d’un centre intergouvernemental ou non gouvernemental, totalement indépendant de l’OMS. La seconde vision, celle des cinq gouvernements participants et de l’OMS, s’attache surtout à la structure de cette nouvelle organisation et penche pour un centre intergouvernemental qui pourrait être intégré à l’OMS, soit directement comme nouvelle unité, soit par une convention lui permettant de profiter de ses infrastructures administratives et d’éviter ainsi un développement séparé. Le fait que l’initiative soit soutenue en France au plus haut niveau par le premier ministre et qu’elle bénéficie de l’appui personnel du Directeur général de l’OMS va s’avérer décisif. En effet, le nouveau centre sera intégré à l’OMS et à la grande famille des Nations Unies. Au final, la contribution exceptionnelle du CIRC tient à cette position qui lui confère une totale indépendance pour mener et diriger des recherches collaboratives internationales, tout en bénéficiant du statut de centre OMS qui donne davantage de poids à ses découvertes et à ses déclarations.

Eugène Aujaleu qui travaille sur ce modèle de centre intégré à l’OMS s’inquiète toutefois de la lourdeur bureaucratique pour décider des projets de recherche, s’il faut l’accord de la centaine d’Etats Membres de l’OMS. Il se demande aussi si le volet cancer ne va pas se retrouver dilué dans l’ensemble des activités de l’organisation mère. Il a également l’impression que les pays soutiendraient plus volontiers un organisme de recherche en cancérologie individualisé et autonome, plutôt qu’un organisme impersonnel au sein d’une grande institution. Heureusement, la constitution de l’OMS offre plusieurs possibilités, dont celle de l’Article 18(k) autorisant l’Assemblée mondiale de la Santé à créer des institutions pour promouvoir et mener des recherches. C’est cette solution avisée qui va finalement donner naissance au CIRC, en tant qu’organisme à la fois indépendant et intégré à l’OMS, comme l’a si bien formulé Aujaleu.

Ces débuts chaotiques, parfois orageux, ont suscité une réflexion approfondie sur ce que le nouveau centre pourrait offrir de différent, en évitant les doublons avec les travaux menés aux plans national et international. En retour, l’UICC allait devenir l’un des très estimés et fidèles collaborateurs du CIRC dans plusieurs domaines, notamment en matière de renforcement des capacités.

Vers une résolution

Deux réunions techniques importantes ont lieu à Paris, avant l’Assemblée mondiale de la Santé de juin 1964, pour préparer les plans du nouveau centre. La première réunit, les 17 et 18 décembre 1963, les représentants des Etats-Unis, de la France, de la République fédérale d’Allemagne et du Royaume-Uni (l’Union soviétique sollicitée ne s’est pas fait représenter), ainsi que le Directeur général de l’OMS et le président de l’UICC. Le Pr Lacassagne fait partie de la délégation française, assurant ainsi le lien avec les premiers cosignataires de la lettre ouverte à de Gaulle. Organisée rapidement, à peine un mois après l’envoi du courrier, la réunion va permettre d’identifier des domaines d’activité qui pourraient convenir au nouveau centre, notamment l’information sur le cancer, la classification des tumeurs, l’épidémiologie, la formation et l’aide aux chercheurs par l’établissement de normes et l’attribution de ressources pour les projets. Cette réunion préparatoire est positive à tous points de vue.

Lors de la deuxième réunion, les 27 et 28 février 1964, les mêmes participants ainsi que des observateurs de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) étudient différents modèles de gouvernance et établissent des plans plus détaillés, qui seront résumés dans un document à l’intention de l’Assemblée mondiale de la Santé. Entre-temps, les gouvernements ont eu le temps de préciser leur position et certains ne manifestent plus un soutien aussi inconditionnel à l’initiative. Fait intéressant, c’est à l’occasion de cette réunion qu’émergent le nom de « Centre mondial de Recherche sur le Cancer » et l’idée d’un Conseil scientifique et d’un Conseil de Direction avec un Secrétariat, constitués d’experts scientifiques, fonctionnant en étroite relation avec l’OMS. Les plans proposés définissent déjà parfaitement la structure finale de la gouvernance du CIRC, le Conseil de Direction constituant « l’autorité suprême du Centre ».

C’est aussi lors de cette réunion que la question cruciale du budget est examinée de près pour la première fois. Malheureusement pour la recherche sur le cancer, les dirigeants militaires vont pouvoir dormir tranquilles, même si la guerre du Vietnam fait rage. En effet, le calcul de la somme représentée par 0,5% du budget militaire des six pays (Etats-Unis, France, Italie, République fédérale d’Allemagne, Royaume-Uni et Union soviétique) atteint le chiffre faramineux de 396 millions de dollars (sans doute à l’origine du budget de « 1 million de dollars par jour » présenté par Marcellin à Candau). Sur cette somme, 265 millions proviennent des Etats-Unis et un dixième environ du Royaume-Uni, ce qui explique sans doute la contreproposition des Etats-Unis présentée par le chef de la délégation, l’Assistant Surgeon General James Watt. Ce dernier propose un budget fixé sur une base forfaitaire de 100 000 dollars par pays, ce qui implique un budget annuel bien en dessous du million de dollars et, par conséquent, en dessous des 0,5% des budgets militaires de la vision initiale. Haddow va alors vivement protester, arguant que la proposition américaine ne correspond en rien à l’idée défendue par le Président de Gaulle. A la surprise de certains, la délégation française accepte néanmoins de poursuivre les discussions à partir du document de travail américain proposant ce budget.

Analyse a posteriori du modèle financier dans lequel 0,5% des budgets de la défense seraient reversés à la recherche sur le cancer (analyse préparée par A.G.B. Sutherland, chef de l’Administration et des Finances du CIRC, fin des années 1960, début des années 1970).

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Ces deux réunions à Paris aboutissent à une proposition présentée à l’Assemblée mondiale de la Santé par Eugène Aujaleu au nom des gouvernements des Etats-Unis, de la France, de l’Italie, de la République fédérale d’Allemagne et du Royaume-Uni. Le 19 juin 1964, l’Assemblée mondiale de la Santé vote une résolution autorisant le Directeur général de l’OMS à « entreprendre des discussions avec les pays intéressés en vue de la création et du fonctionnement d’un Centre mondial de Recherche sur le Cancer ». L’accord n’est pas encore conclu, mais les jeux sont faits.

Lieux d’implantation, noms et dollars

Aussitôt après l’Assemblée mondiale de la Santé, une réunion a lieu au ministère des Affaires étrangères à Paris, le 27 juillet 1964. En dépit du changement de mode de financement, la France reste déterminée à voir le projet aboutir. Lors de cette réunion sont mentionnés pour la première fois des lieux éventuels d’implantation du nouveau centre. Parmi les villes françaises ayant présenté leur candidature, deux sont retenues : Vaucresson, en banlieue parisienne à proximité de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches, et Lyon, « en raison de sa proximité avec Genève, siège de l’OMS. » La municipalité de Lyon est prête à mettre à disposition du nouveau centre un immeuble entier dans le quartier des Brotteaux, comme solution temporaire, et propose même un vaste bureau dans l’une des ailes de l’Hôtel de Ville disponible « sous 48 heures ». Les réunions préparatoires du 29 septembre au 2 octobre 1964 se déroulent à Paris, mais l’année suivante, elles ont lieu à Lyon, signe peut-être que l’ancienne capitale des Gaules (Lugdunum) va devenir le siège de la nouvelle organisation.

Lors de la réunion intergouvernementale qui se déroule à Lyon du 16 au 18 février 1965, la question du budget donne lieu à un long débat. Le groupe des participants, présidé par Eugène Aujaleu, tente de parvenir à un équilibre entre les cinq pays, avec une contribution annuelle maximum de 150 000 dollars chacun, tout en reconnaissant que la somme totale de 750 000 dollars serait un début bien modeste. En fait, ils craignent que les experts scientifiques chargés de définir plus tard les fonctions du futur centre ne jugent cette somme trop dérisoire pour prendre la peine de discuter d’un programme d’activités !

Harold Himsworth, délégué du Royaume-Uni, va alors faire une proposition pour sortir de l’impasse : inviter 10 pays supplémentaires à rejoindre la nouvelle organisation, en faisant valoir qu’avec 15 pays, le budget annuel total avoisinerait les 2 millions de dollars. Candau propose d’adopter cette somme comme budget de départ pour permettre l’élaboration du programme scientifique. Cette solution étant retenue, se pose alors la question de savoir s’il faut rechercher la participation de pays supplémentaires avant la prochaine Assemblée mondiale de la Santé, en mai. Sans vouloir paraître exclusifs, les participants soulignent qu’il est difficile pour un pays de prendre une telle décision dans un si court délai. Il est intéressant de noter que les Pays-Bas, présents à la réunion, vont délibérer sur leur participation pendant cinq mois et finiront par rejoindre les Etats participants du CIRC deux ans plus tard.

Le débat concernant le nom de la nouvelle organisation se poursuit également avec des intervenants de langues maternelles différentes. L’appellation « Centre mondial de Recherche sur le Cancer » disparait au profit d’une version française comportant désormais les termes de « centre international », la traduction anglaise formulée par le Directeur général de l’OMS d’origine brésilienne étant : « international centre ». Himsworth, délégué du Royaume-Uni, propose « international agency » dans la mesure où le terme « agency » possède un sens plus large, tandis que le terme « centre » implique des « activités en un seul site ». Ce concept va dans le sens des remarques d’Antoine Lacassagne qui préférait parler d’une « institution » internationale plutôt que d’un « institut » international, terme français lui aussi trop limitatif par rapport au souhait d’une collaboration élargie. Au final, les termes choisis, « agency » (en anglais) et « centre » (en français), introduisent tous deux la notion de travaux réalisés non pas sur un seul site, mais en plusieurs endroits. Cette nuance ne signifie pas pour autant que la nouvelle organisation n’a pas besoin d’un siège et d’un personnel permanent ; elle vise uniquement à insister sur le niveau attendu de participation des chercheurs de toutes nationalités aux travaux du CIRC. Ainsi, les Etats participants ne devront pas seulement apporter une contribution financière, ils devront aussi participer aux recherches scientifiques grâce aux collaborations de leurs chercheurs avec le Centre. Dès le 19 février 1965, Eugène Aujaleu envoie des invitations pour la première réunion du Conseil scientifique, dans lesquelles il désigne le CIRC sous son appellation définitive, à la fois en français et en anglais.

Il convient de noter que le nom du président des Etats-Unis, John F. Kennedy, qui venait d’être assassiné, ne sera finalement pas associé à celui du CIRC, comme l’avaient proposé Pierre Massé, cosignataire de la lettre d’Emmanuel d’Astier au Général de Gaulle, et Haddow dans sa lettre au Président Johnson, fin 1963. Il semble que cette proposition n’ait pas été examinée plus avant.

Domaines d’activité

L’étape suivante consiste à définir les activités permanentes du nouveau centre. Les discussions qui ont lieu à Lyon du 30 mars au 6 avril 1965 s’appuient sur toute une série de documents de travail issus de précédentes réunions à Genève concernant : un centre d’information en matière de recherche sur le cancer (réunion du groupe de travail du 3 au 5 février 1965), les moyens d’études épidémiologiques (14 au 16 décembre 1964), les moyens d’études anatomopathologiques (14 au 18 décembre 1964) et la formation des chercheurs (cette dernière réunion n’ayant pas eu lieu, elle est remplacée par un document partiellement rédigé par Albert Tuyns, qui deviendra plus tard l’un des premiers chercheurs du CIRC).

Le comité scientifique consultatif constitué de 12 experts en cancérologie de différentes nationalités se réunit du 30 mars au 2 avril 1965, pour préciser ce que pourrait apporter le CIRC en matière de collaboration internationale et insister sur l’importance de la formation. L’épidémiologie est identifiée comme la principale sphère d’activité du CIRC, notamment les études relatives à l’incidence des cancers et à leurs profils. Notons ici la participation au sous-groupe sur l’épidémiologie de Sir Richard Doll, John Higginson et Daniel Schwartz, directeur de la première unité française d’épidémiologie à l’Institut Gustave Roussy.

Ce comité consultatif va souligner la nécessité pour les épidémiologistes de ne pas travailler en vase clos et insister sur l’importance de la pathologie dans le cadre des études épidémiologiques. Il va également examiner des domaines qui ne font pas partie aujourd’hui du champ d’activités du CIRC, en particulier l’oncologie comparative entre animaux sauvages, domestiques et de rente, le CIRC ayant un rôle à jouer dans le choix d’animaux de laboratoire bien caractérisés et d’autres outils destinés aux études expérimentales. Le budget de 2 millions de dollars donné à titre indicatif est considéré comme un minimum pour permettre au nouveau centre d’avoir un impact à l’échelle mondiale. Du fait des contraintes budgétaires, le comité scientifique consultatif décide de renoncer à certains domaines, en écartant notamment la possibilité d’un centre mondial d’information sur la recherche en cancérologie.

Cette réunion scientifique est immédiatement suivie d’une réunion des représentants des gouvernements, qui se tient du 3 au 6 avril 1965. Sont également présents le président du comité consultatif scientifique, Otto Mühlbock des Pays-Bas et le rapporteur du comité, Richard Doll. Les participants approuvent la priorité accordée à l’épidémiologie et aux activités de formation. En revanche, la quasi absence de ressources consacrées à l’information sur la recherche en cancérologie ne fait pas l’unanimité. Les participants rappellent que les recherches menées par le nouveau centre ne doivent pas faire double emploi avec celles réalisées dans les instituts nationaux. En revanche, le CIRC pourrait apporter une aide financière aux projets menés par les instituts nationaux, ce qui se traduit aujourd’hui par les Accords de Recherche collaborative qu’il établit avec des centres collaborateurs du monde entier.

Résolution WHA18.44 de l’Assemblée mondiale de la Santé du 20 mai 1965, officialisant la création du Centre international de Recherche sur le Cancer.

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En ce qui concerne le budget, la France continue de plaider pour une augmentation des contributions, en s’appuyant sur les vues du comité scientifique consultatif. Elle propose d’abord 400 000 dollars par pays, puis 200 000 dollars dans l’espoir d’obtenir un consensus. Au final, c’est un montant de 150 000 dollars pour chacun des cinq pays présents qui sera retenu, avec l’espoir que d’autres pays viendront les rejoindre. Un premier budget sur 5 ans est ainsi établi. Par la suite, le Centre adoptera un budget biennal. Eugène Aujaleu déclarera « faire confiance au Centre pour obtenir des fonds plus importants que ceux votés lors de cette réunion, de sorte que les espoirs soulevés par sa création ne virent pas au désenchantement. » Il est en effet prévu que ce budget « de base » soit complété par d’autres ressources allouées à des projets spécifiques.

Eugène Aujaleu fait aussi valoir le fait que le versement de contributions financières à part égale par les Etats participants évite le risque de voir la politique du Centre dictée par les pays qui donnent le plus. Ce modèle ayant été retenu, le barème des contributions des Etats participants appliqué depuis 50 ans comporte en effet des écarts relativement minimes. Il convient de préciser que la France, fidèle à l’idée originale, a été le seul pays à prélever sa contribution initiale sur son budget de la défense.

Membres du premier Conseil de Direction du CIRC réunis à Lyon, les 23 et 24 septembre 1965.

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La création du Centre international de Recherche sur le cancer par l’Assemblée mondiale de la Santé, en mai 1965, constitue le point d’orgue de cette extraordinaire épopée partie d’une simple lettre.

NAISSANCE DU CIRC – MAI 1965

Le 20 mai 1965, l’Assemblée mondiale de la Santé adopte la résolution WHA18.44 autorisant la création d’un centre pour la coopération internationale dans le domaine de la santé sous l’Article 18(k) de la Constitution de l’OMS. On peut considérer cette date comme la date anniversaire du CIRC, mais ce n’est que le 20 septembre 1965 que l’OMS annonce que le Centre a officiellement débuté ses activités le 15 septembre 1965, après confirmation par les cinq Etats participants (Etats-Unis, France, Italie, République fédérale d’Allemagne et Royaume-Uni) de leur engagement à observer et à appliquer les dispositions du statut du Centre attaché à la Résolution de l’Assemblée mondiale de la Santé. Le CIRC commence à prendre forme.

L’Union soviétique ne faisait pas partie des fondateurs du CIRC, mais elle fut parmi les premiers à les rejoindre. Higginson nous confia ses souvenirs sur la façon dont Nikolai Blokhin persuada Nikita Khroutchchev d’appuyer l’adhésion de l’Union soviétique au Centre. – David Zaridze, ancien chercheur du CIRC

La première réunion du Conseil de Direction a lieu les 23 et 24 septembre 1965, sous la présidence d’Eugène Aujaleu, avec l’Italien Giovanni Canaperia à la vice-présidence. L’union soviétique est représentée car, comme les Pays-Bas, elle a suivi de très près la phase préparatoire. Lors de cette réunion, elle devient l’un des Etats participants avec l’Australie. Désormais, sept pays sont engagés dans le développement du CIRC. En 1966, Israël entre dans le cercle des Etats participants, peut-être sous l’impulsion d’Isaac Berenblum de l’Institut Weizmann qui participe aux réunions de planification scientifique. Peu de temps après, en avril 1967, c’est au tour des Pays-Bas. Ce groupe d’Etats participants va gouverner le CIRC jusqu’à la fin des années 1960. Lorsque le Centre s’installe dans ses propres locaux, en 1972, le nombre d’Etats participants est passé à 10 avec deux nouveaux membres, la Belgique et le Japon, tandis qu’Israël s’est retiré en 1971. Le budget annuel atteint alors 2,4 millions de dollars, un petit peu plus que le minimum prévu sept ans auparavant.

Le Conseil scientifique se réunit pour la première fois le 25 septembre 1965. Cette réunion rassemble un nombre impressionnant de sommités mondiales dans le domaine du cancer, avec notamment Richard Doll, Abraham Lilienfeld, Nikolai Blokhin et George Klein, ainsi qu’Isaac Berenblum, preuve de l’importance accordée à cette nouvelle organisation internationale (voir « Le premier Conseil scientifique du CIRC »). La question du choix du Directeur est abordée. Richard Doll pressenti à ce poste décline la proposition.

C’est John Higginson qui prend les fonctions de Directeur, le 1er juillet 1966. Il commence par s’entourer d’un petit groupe de scientifiques, parmi lesquels figurent Calum Muir, Albert Tuyns, Gregory O’Conor (détaché du National Cancer Institute des Etats-Unis), Guy de Thé, Lorenzo Tomatis, Pavel Bogovski et Walter Davis (du Chester Beatty Research Institute). Higginson va fixer un grand nombre des priorités du CIRC qui restent encore d’actualité aujourd’hui, avec notamment la mise en œuvre d’une approche interdisciplinaire pour étudier les causes et la prévention du cancer. Richard Doll restera pour sa part un ardent défenseur du CIRC. Ne pouvant assister à l’inauguration du nouveau bâtiment à Lyon, en 1972, il écrivit à Higginson : « Je le regrette beaucoup, compte tenu des liens étroits que j’entretiens avec le Centre depuis l’idée même de sa conception. »

Le Statut du CIRC, qui accompagne la Résolution WHA18.44, commence ainsi : « Le but du Centre international de Recherche sur le Cancer est de promouvoir la collaboration internationale en matière de recherche sur le cancer. » Le Statut définit également la structure de gouvernance, avec un Conseil de Direction et un Conseil scientifique. Le Conseil de Direction, composé d’un représentant de chacun des Etats participants ainsi que du Directeur général de l’OMS, établit les programmes et le budget du Centre. Il choisit également le Directeur du CIRC, la plus haute autorité exécutive, responsable devant le Conseil de Direction, mais pas devant le Directeur général de l’OMS. Enfin, il décide des Etats Membres de l’OMS qui peuvent être admis en qualité d’Etats participants du CIRC. En effet, le CIRC est un centre autonome au sein de l’OMS, ouvert à tout Etat Membre de l’OMS désireux d’apporter sa contribution à la fois financière et scientifique ; raison pour laquelle on parle d’Etats participants du CIRC et non d’Etats Membres.

Ceux qui ont établi la structure du CIRC ont fait preuve d’une grande habileté en réussissant à obtenir le juste équilibre entre une complète intégration au sein de l’OMS et une totale indépendance. Ils ont été inspirés en retenant ce qu’il y avait de mieux dans chacune des deux formules. Ainsi, tout en étant autonome, le CIRC fait partie de l’OMS et par conséquent de la grande famille des Nations Unies. Cette position lui permet de bénéficier d’une individualité marquée et de se forger sa propre réputation en qualité de leader mondial de la recherche sur le cancer, tout en renforçant le prestige de l’OMS.

Son indépendance a permis au CIRC de lancer des études sur des sujets difficiles, parfois politiquement dérangeants, et de présenter des faits scientifiques qui ont servi de base à l’élaboration de politiques en matière de santé. L’absence d’ingérence dans ses travaux témoigne de l’adhésion des Etats participants aux principes sur lesquels fut fondé le Centre, il y a 50 ans – principes que les membres du Secrétariat et des organes directeurs ont la responsabilité de faire respecter.

UN PORT D’ATTACHE

Où le CIRC allait-il s’installer ? La France était tout naturellement le pays hôte de cette nouvelle organisation internationale et à ce jour, le CIRC demeure – avec l’UNESCO – l’une des deux seules organisations des Nations Unies à avoir son siège en France. Lyon fut officiellement confirmée ville d’accueil du CIRC au journal officiel de l’Assemblée nationale, lors du premier Conseil de Direction de septembre 1965. Dans son discours d’inauguration du nouveau bâtiment, en 1972, le Président Georges Pompidou fera référence à la forte tradition médicale de Lyon et à la proximité de Genève et du siège de l’OMS pour justifier ce choix. Eugène Aujaleu notera également que la séparation géographique avec le siège de l’OMS constitue l’un des éléments assurant l’autonomie du CIRC.

Lettre du maire de Lyon, le 28 avril 1971, au Directeur du CIRC, lui conseillant de ne pas révéler la date exacte de l’ouverture du nouveau bâtiment, afin de s’assurer que les entreprises de construction livreront les locaux à temps.

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Le maire de Lyon de l’époque, Louis Pradel, a lui aussi fortement milité en faveur de l’implantation du CIRC dans sa ville. Ce Lyonnais dans l’âme était passionnément investi dans cette ville qu’il a administrée de 1957 jusqu’à son décès d’un cancer en 1976. Un hôpital lyonnais porte son nom, tandis que le principal hôpital public porte celui de son prédécesseur, Edouard Herriot, témoignage supplémentaire de l’importance qu’attache Lyon depuis toujours à la recherche de l’excellence dans les domaines de la médecine et des sciences. Louis Pradel était aussi un homme pragmatique qui comprenait la nature humaine. Sa lettre au Directeur du CIRC, anticipant l’inauguration du nouveau bâtiment du CIRC, en est un parfait exemple.

George Klein, membre du premier Conseil scientifique de 1965, a participé aux réunions préparatoires de la création du CIRC. Il se souvient : « Le maire de Lyon a passé beaucoup de temps avec nous. De toute évidence, il tenait à ce que le nouveau centre s’installe dans sa ville. Impressionnés par Lyon, nous avons appuyé sa candidature. Par la suite, au vue des efforts considérables déployés par la ville pour accueillir le Centre – surtout, l’édification du nouveau bâtiment – nous avons eu le sentiment d’avoir fait le bon choix. »

Jusqu’en mai 1967, le CIRC est hébergé dans les locaux de l’OMS à Genève. Le 14 mars 1967, date de la signature de l’accord de siège conclu entre l’OMS et la France, est une date clé dans l’histoire du Centre qui installe enfin son siège à Lyon. Le maire met temporairement à sa disposition des locaux au 16 avenue Maréchal Foch, avec des bureaux supplémentaires pour l’unité de biostatistiques en centre-ville. « L’inauguration » officielle du CIRC est fixée au 22 mai 1967. Comme promis, le Centre a également accès à certaines des plus belles salles de l’hôtel de ville, bâtiment magnifique datant du milieu du 17ème siècle.

Locaux du 16 avenue Maréchal Foch mis à disposition du CIRC par la ville de Lyon à partir de 1967.

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A ce stade, des pourparlers sont déjà en cours pour la construction de locaux dédiés au CIRC. La maquette du nouveau bâtiment est présentée au Président Pompidou, lors de sa visite à Lyon, le 24 mars 1968. Entre-temps, la communauté médicale et scientifique locale se montre d’un grand soutien : l’INSERM (Institut national de la Santé et de la Recherche médicale) et l’Institut Mérieux mettent des laboratoires à disposition ; le CIRC loue des locaux au Centre Léon Bérard avec l’aide de Roger Sohier et de Marcel Dargent, directeur de ce centre régional anticancéreux réputé. Des préfabriqués sont également érigés sur le site du futur bâtiment afin d’abriter des laboratoires, quelques bureaux et une animalerie. Ces bâtiments « temporaires » de deux étages vont finalement subsister plus de 20 ans. A la fin des années 1980, ils hébergeaient encore une petite colonie de lapins pour la production d’anticorps, et accueillaient les cours d’anglais et de français – dispensés très souvent en même temps !

Au début des années 1970, la nouvelle tour du CIRC ne passe pas inaperçue avec ses quatorze étages dominant les bâtiments alentour. Elle a été conçue par les architectes Pierre Bourdeix et Paul Guillot désignés par la ville de Lyon, tandis que Roland Mendelssohn, architecte en chef de l’Inserm à Paris, fait office de conseiller auprès du CIRC. Aujourd’hui, en dépit du vieillissement de sa structure, le bâtiment reste toujours aussi impressionnant : par temps clair, dans un ciel bleu sans nuage, ses piliers en béton et ses façades bleues attirent l’œil vers son sommet, tandis que son allure massive et carrée donne une impression de solidité et de fiabilité. Dans le hall d’entrée se dresse une sculpture en acajou massif de Pierre Mathieu, représentant le « triomphe de la vie sur les éléments destructeurs de l’environnement » – œuvre symbolisant les travaux du CIRC et de ses nombreux partenaires dans le monde. Compte tenu des origines du Centre, on notera pour l’anecdote qu’il siège au 150 cours Albert Thomas, ce dernier ayant été ministre français des Munitions pendant la Première Guerre mondiale, avant de devenir plus tard le premier directeur du Bureau international du Travail.

Le 23 mars 1969, le premier ministre français, Maurice Couve de Murville, pose la première pierre du bâtiment du CIRC.

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Discours du Président Pompidou lors de l’inauguration du nouveau bâtiment du CIRC, en mai 1972. Derrière lui, le maire de Lyon, Louis Pradel.

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Le 23 mars 1969, le premier ministre français, Maurice Couve de Murville, pose la première pierre de la tour du CIRC, qui sera inaugurée trois ans plus tard, le 9 mai 1972, par le Président Pompidou accompagné de son épouse et pas moins de cinq ministres. Lors de l’inauguration, John Gray, le président du Conseil de Direction, déclare que le travail du Centre « doit être planifié sans se soucier des frontières politiques et nationales ». Pompidou parle de la nécessité d’éradiquer les peurs et les mythes gravitant autour de l’image du cancer, et conclut son discours par : « Messieurs, puisse la solidarité humaine trouver dans votre travail un vaste champ d’application et de succès. » A cette occasion, le CIRC reçoit également des messages de soutien de la part de chefs d’Etat, notamment du Président américain Richard Nixon qui a signé le National Cancer Act l’année précédant la fameuse déclaration de « guerre contre le cancer », ainsi que du premier ministre britannique, Edward Heath, europhile convaincu qui vient de faire entrer son pays dans le Marché commun européen.

De nombreuses personnalités adressèrent des lettres de félicitations au CIRC à l’occasion de l’inauguration de son siège à Lyon. Pour exemple, les lettres du Président des Etats-Unis, Richard Nixon, et du premier ministre britannique, Edward Heath.

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LE CANCER : UNE PREOCCUPATION CROISSANTE

Au fil des ans, avec le développement des activités du CIRC, certains étages de la tour initialement vacants sont investis. Le Centre s’étend également avec des bâtiments et des installations supplémentaires. Ainsi, en 1988, le riche homme d’affaires japonais et philanthrope, Ryoichi Sasakawa, fait une importante donation qui permet la construction de salles de conférences, dont la principale est baptisée du nom de son Altesse impériale la Princesse Kikuko Takamatsu, célèbre et respectée pour ses activités philanthropiques dans le domaine de la recherche sur le cancer.

En 1994, un bâtiment est érigé spécialement pour héberger les activités de l’importante étude de cohorte sur la nutrition et le cancer (cohorte EPIC pour European Prospective Investigation into Cancer ; voir le chapitre « Nutrition, métabolisme et cancer »). Il est aménagé pour accueillir des conteneurs d’azote liquide dans lesquels seront stockées plusieurs millions de paillettes contenant des échantillons biologiques. En 2000, un autre édifice important vient s’ajouter à l’ensemble immobilier du CIRC, le bâtiment Latarjet, en hommage à Raymond Latarjet (voir « Nos amis français – Raymond Latarjet »). Sa façade, conçue par Christian Drevet pendant le mandat de Directeur de Paul Kleihues, rappelle les gels de séquençage d’ADN, symbole d’une époque où cette technologie était à la pointe de la recherche sur le cancer.

La structure intrinsèque de la tour construite au début des années 1970 commence à poser problème au début des années 1990, lors de la détection de taux inacceptables d’amiante, une substance cancérogène. Le bâtiment sera fermé pendant plusieurs mois, le temps d’une coûteuse opération de désamiantage par des équipes spécialisées, tandis que le personnel du CIRC est dispersé dans des bureaux et des laboratoires en plusieurs endroits de la ville, ce qui n’est pas sans rappeler l’esprit de la fin des années 1960. En effet, cette « crise » a été une fois de plus l’occasion pour la communauté locale de Lyon de prouver sa solidarité à l’égard du Centre et de sa mission.

Dans les années 1990, il nous fallut évacuer le bâtiment à cause de la présence d’amiante, qui avait été reconnue cancérogène. Nous avons déménagé dans différents bâtiments dispersés à travers toute la ville. Ce fut une opération importante dont je me souviens fort bien. – Keiji Saita, ancien Directeur de l’Administration et des Finances au CIRC

Comme l’indiquent les premières phrases du statut du CIRC, la collaboration est au cœur de sa vision. Raison pour laquelle, dès le tout début de son activité, il créé plusieurs Centres régionaux. Conçus sur le modèle des bureaux régionaux de l’OMS, ces centres symbolisent la vision selon laquelle le CIRC ne doit pas se limiter à un seul emplacement (voir « La diaspora du CIRC »). Il établit ainsi des bureaux à Nairobi (Kenya), à Singapour, à Kingston (Jamaïque), et à Téhéran (Iran). Allen Linsell, responsable du bureau du Kenya, coordonne les premiers travaux sur le cancer du foie (voir le chapitre « Cancérogènes dans l’environnement humain »). Quant au bureau iranien, il a été créé en raison de l’intérêt porté aux taux élevés de cancer de l’œsophage dans la région du littoral caspien (voir le chapitre « Nutrition, métabolisme et cancer »). Enfin, chaque centre participe à l’implantation de registres du cancer chargés de recueillir les données permettant de décrire les profils locaux de la maladie.

Ryoichi Sasakawa (au centre) lors de l’inauguration du Princess Takamatsu Hall en 1988, avec le Directeur du CIRC, Lorenzo Tomatis (à droite).

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Raymond Latarjet dans son laboratoire à l’Institut du Radium à Paris.

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En mai, 1980, le Conseil de Direction décide la fermeture de ces centres éloignés, difficiles à entretenir. Toutefois, le CIRC garde un bureau en Gambie, hébergé par le United Kingdom Medical Research Council depuis le milieu des années 1980, dans le cadre de l’Etude d’intervention contre l’hépatite en Gambie (voir le chapitre « Virus et vaccins »). Récemment rénové, ce bureau a conduit, parallèlement au projet principal, des études qui ont permis la mise en place d’un des rares registres du cancer en Afrique sub-saharienne. Enfin, le concept de centres régionaux a été repensé avec l’implantation récente de Pôles régionaux du CIRC pour l’enregistrement du cancer, dans le cadre de l’Initiative mondiale pour le développement des registres du cancer (GICR pour Global Initiative for Cancer Registry Development) (voir le chapitre « Registres du cancer : une initiative mondiale »).

Façade du bâtiment Latarjet.

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Ramou Njie, chef du projet de l’Etude d’intervention contre l’hépatite en Gambie (Gambia Hepatitis Intervention Study : GHIS), Tumani Corrah, directeur du Medical Research Council (MRC) en Gambie, et Christopher Wild, Directeur du CIRC, lors de l’inauguration des bureaux réaménagés sur le campus du MRC à Fajara, Gambie, en 2012.

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FAIRE LA DIFFERENCE

Il est exceptionnel qu’en moins d’une décennie, le CIRC soit devenu un centre internationalement reconnu pour ses recherches. En 1976, il a déjà réalisé, entre autres, des études sur le lymphome de Burkitt, le cancer de l’œsophage et le cancer du foie ; il est soutenu par 10 Etats participants et dispose d’un budget de 4,2 millions de dollars. Attirés par cette nouvelle entreprise, des chercheurs expérimentés viennent gonfler ses équipes, avec 150 personnes originaires de pays du monde entier, travaillant ensemble à Lyon. Le CIRC dispose alors d’une bonne visibilité internationale grâce à ses Centres régionaux. Enfin, il a installé des laboratoires à Lyon pour étudier les mécanismes de la cancérogenèse et il a créé son célèbre Programme des Monographies pour évaluer les données concernant des agents présumés cancérogènes chez l’homme. Au cours de cette première décennie, son Programme des Bourses a attribué plus de 150 Bourses d’Etudes à de jeunes chercheurs et 200 Bourses de Voyage à des chercheurs confirmés.

Un tel développement est certainement dû au dynamisme de tous ceux qui sont venus à Lyon pour que cette vision du CIRC devienne réalité. Il tient aussi à l’origine même de cette vision : la conviction qu’en agissant ensemble, par-delà les frontières, et en se consacrant à améliorer la condition humaine, les chercheurs peuvent accomplir de grandes choses.

A mon arrivée au CIRC, la première chose qui me frappa, ce fut l’enthousiasme et l’esprit pionnier qui y régnaient. Ces gens aux profils « d’explorateurs » allaient sur le terrain et voyageaient dans le monde entier, en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Il y avait ce côté pionnier, mais aussi un côté multiculturel, avec des Russes, des Italiens, des Japonais, etc., possédant chacun une formation différente. – Gilbert Lenoir, ancien chercheur du CIRC